Chronique : « Ekphrön » d’High Tone

Ça y est, la longue attente des fans d’High Tone n’aura pas été vaine! Près de quatre ans après Out back et moins d’un an et demi après le deuxième volet de leur projet sound system, Dub Invaders, le groupe lyonnais sort aujourd’hui son sixième album studio: Ekphrön. Passé la surprise des premières écoutes, il faut bien se rendre à l’évidence : High Tone a encore repoussé les barrières musicales! 

Ekphrön sort lundi 31 mars dans les bacs. En CD et double LP vinyle.

Ekphrön sort lundi 31 mars dans les bacs. En CD et double LP vinyle.

Une pochette psychédélique à souhait, un nom grec peu évident et un premier titre presque de musique classique avec le violoncelle de Vincent Segal… L’accroche de cet album très attendu a de quoi laisser sceptique le dubber le plus ouvert d’esprit. Le reste de l’album bouleverse tout autant qu’il déconcerte et c’est comme une entité et un ensemble qu’il faut l’écouter, du début à la fin et en acceptant de laisser ses certitudes à l’extérieur de ce voyage au plus profond de l’âme…

Accepter par exemple de laisser les notes bouleversantes du violoncelle de l’ami Vincent Segal s’étirer et dispenser une douce mélancolie sur « Basis », le premier titre qui accélère aussi soudainement son tempo qu’il ne retombe plus tard. Une lente expectative qui se poursuit sur « All expectations » dont les nappes de synthé lunaires nous emmènent déjà très haut dans le ciel avant qu’un superbe break rythmique ne laisse place à une musique typiquement « hightonienne » entre electro dub, abstract hip hop, bass music et musiques traditionnelles. Un début d’album calme et profond, trop pour ne pas deviner que la tempête couve derrière.

Pire, c’est une véritable guerre qui est déclarée sur le troisième morceau, « Waqham Saba » ! Une lutte à mort entre les bruits électroniques et les notes de oud (luth oriental). Une guerre entre l’homme et la machine symbolisée par ce dubstep volontairement destructeur et impitoyable qui avance inéxorablement sans arriver à venir à bout de l’instrument. Jouissif! Tout comme le sont les riffs saturés de guitare qui ouvrent en trombe « Until the last drop » sur lequel la voix sucrée du parisien Shanti.D se cale à merveille avant de laisser place à un déferlement de basses plutôt massif. Une tune pleine d’énergie et très réussie qui ne ressemble à aucune autre, tant par ses arrangements que sa mélodie en escalier bien folle.

Les samples, les musiques traditionnelles orientales et cette batterie saccadée à l’extrême du début de « Raag step » sont plus familiers des connaisseurs du groupe. Les arrangements  sont ensuite complètement fous et destructurés et quand les premiers skanks, (et presque les seuls de l’album) surviennent au bout de deux minutes et six secondes pour remettre tout ça en ordre, c’est une vraie libération et un pied intégral!  Le tout forme un dub massif, débordant d’énergie et sans aucune limites. Du grand art que cette tune, peut-être la plus abouti des neuf que compte l’album.

Et alors qu’on semblait revenir aux fondamentaux du groupe, c’est encore dans une autre dimension que nous emmènent les Lyonnais sur 72′ turned off où le scratch et les samples accompagnent une guitare bien rock pour un morceau dont la composition doit sans doute beaucoup à DJ Twelve et rappelle certaines de ses productions en solo. Navigant entre électronica, abstract hip hop et electro dub, ce morceau lancinant est un voyage énigmatique de six minutes qui résume presque à lui tout seul ce nouvel opus, décidément insondable.

La BO parfaite d’un film de science fiction! 

Ce n’est d’ailleurs l’ambiance très sombre du morceau suivant qui va nous aider à percer ce mystère musical. Pas même le le flow très brut du rappeur Oddateee qui survient au bout d’une grosse minute d’électro rock ou ambiant mêlée à une basse bien dubstep sur « Old Mind ». Propos réalistes sur une rythmique menaçante, le New Yorkais ne prend pas le micro pour rigoler et apporte son phrasé ciselé et ses lyrics acérés et noirs sur un morceau entêtant.

Trop calmes pour durer, les premiers arrangements « orientaux » de « A fistful oy Yen » ne trompent personne : ils ne forment qu’une rampe de lancement à un déferlement dubstep décomplexé qui fatigue même les oreilles les plus indulgentes. Le dubstep, High Tone en faisait à petites doses et avant tout le monde sur Underground Wobble dès 2007. Pourquoi y revenir aujourd’hui alors que le style a bien du mal à se renouveler? Mais l’album cultivant décidément l’art du contre pied, le morceau s’essouffle ensuite brusquement pour se transformer en une lente balade en apesenteur au son de jolis accords de guitare et d’un synthé hypnothique qui feraient la BO parfaite d’un film de science fiction.

Reprenant un habillage déjà entendu sur l’introduction de « Boogie Dub Production » (Outback), un déferlement de « bulles sonores » qui vous envoie en aller simple sur la lune, le dernier morceau, Super Kat est pour le moins aérienUn dub « à l’ancienne » et assagit qui s’étire au gré des changements de tempo et des notes délicieusement rétro d’un clavier qui sonne Hammond. Voici donc pour conclure un morceau qui prend le temps de raconter une histoire : celle d’une musique aventureuse et indomptable, qui, aussi cosmique et expérimentale soit-elle, réussit à retomber sur terre en se raccrochant in extremis à ses racines.

On sort un peu groggy de ces 42 minutes de son. Plus que n’importe quel autre album du groupe, Ekphrön est infiniment riche, varié et inclassable. L’électro/dub semble un sillon presque trop creusée désormais pour le groupe qui s’aventure de plus en plus vers le hip hop ou la bass music avec parfois de forts relents de rock ou d’electronica. Mais l’étiquette musicale n’est sans doute pas le plus important ici. Ekphrön s’apprécie comme un tout, un ensemble. Un voyage initiatique au gré duquel l’auditeur passe par toutes les émotions à mesure que le groupe défriche et explore des champs musicaux dont on ne soupçonnait même pas l’existence. Et comme tout ce qui est nouveau et inconnu, on apprend à l’aimer avec le temps, au fil des écoutes et des réécoutes au bout desquelles l’évidence s’impose : affranchi de toutes les frontières musicales, cet album de transition est un diamant brut qui se révèle parfois difficilement mais que chaque lecture polit un peu plus.

Musical Echoes.

* L’album « Ekphrön » sort en CD, digital, et double vinyle lundi 31 mars sur le label Jarring Effects. Vous pouvez le commander ici :http://cd1d.com/en/album/ekphron

Tracklisting : 

1-Basis feat. Vincent Segal
2-All expectations
3-Wahqam Saba
4-Until the last drop feat. Shanti.D
5-Raag Step
6-72’turned off
7-Old mind feat. Oddateee
8-A fistful of Yen
9-Super Kat.

Ecoutez et regardez un extrait de l’album (« Until the last drop » feat. Shanti.D) ici : 

 

 

6 réflexions sur “Chronique : « Ekphrön » d’High Tone

  1. Wow. J’en reviens pas, je réalise à peine ce que je viens de lire. C’est dommage le rédacteur de cette chronique semble avoir tout les attributs d’un bon critique, hormis peut être l’audition.

    Cet album, tout comme le dernier de kaly live dub, ne laisse chez moi que l’impression d’assister à une gigantesque fête foraine, avec une vague déferlante de pecnots.

    Hélas l’un des plus grand label français c’est décider à faire de ce type d’évènement son activité principale.

    J’ai le coeur fendu de voir un genie comme oddateee petit à petit sombrer dans la médiocrité et l’auto carricature, on est loin de Dälek.

    Je n’ajouterai rien sur l’idolâtrie de al ‘tarba, dont les instrus sont aussi fades que les plus amateurs des titres gratuits disponibles jamendo.

    Bref du gâchis à mon sens, ainsi va la vie. On arrête pas le progrès même lorsqu’il induit des régressions irréparables.

    • Merci pour votre réaction JaHimself.

      La chronique musicale est par définition subjective puisque le reflet du ressenti de celui qui la rédige. A plus forte raison, en matière de dub et d’électro.

      Celle là comme les précédentes n’ont pas valeur de parole d’évangile, ce ne sont que des indications et des pistes d’analyse que chacun est libre d’interpréter et de creuser comme il se souhaite.

      Musicalement,

      Emmanuel (Musical Echoes).

  2. C’est marrant : j’ai l’impression qu’on a exactement ressenti la même chose à l’écoute de ce dernier album.
    Très bonne chronique, comme toujours ! 😉
    Bonne continuation !

    • Merci de ton retour axonsnd!
      ll m’a permis de parcourir un peu ton blog et de découvrir ta chronique sur le même album!
      Effectivement, on est d’accord! Bien vu le thème du voyage appliqué à chaque tune d’ailleurs! 🙂
      Au plaisir d’échanger à nouveau!

  3. en 2014, les gens veulent encore « opus incertum ». High tone avance et évolue et c’est tant mieux.
    Merci cet album est magique!

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